La crise sanitaire et les périodes de (dé)confinement ont marqué un tournant pour les entreprises en France et au Québec, et dans le monde entier. Prises de court, elles ont dû gérer l’arrêt temporaire et la réorganisation de leurs processus opérationnels. Du jour au lendemain, ce qui était l’exception est devenu la norme: télétravail, horaires flexibles, gestion d’équipes à distance. Depuis, d’autres bouleversements ont bousculé l’organisation du travail dans les entreprises, notamment les nouveaux rapports de force mondiaux, les niveaux d’inflation et la volatilité des marchés, une pénurie de main-d’œuvre sans précédent ou encore les défis de la transition énergétique.
Comment les dirigeants d’entreprises se positionnent-ils pour permettre à leur entreprise de tirer leur épingle du jeu, et assurer sa pérennité ? Lors de la Séance inaugurale de ses 34e Entretiens du 28 novembre dernier, le Centre Jacques Cartier a abordé cette question du point de vue de grands dirigeants de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du Québec. Si des réponses précises semblent difficiles à donner tant l’heure actuelle est encore incertaine, ces échanges ont permis de partager quelques constats et surtout des pistes d’inspiration mutuelle.
Retour sur les faits saillants de la table ronde animée par Vanessa Cherenfant, Consultante Stratégie et Design chez Cossette, et à laquelle ont pris part :
- Michel Leblanc, Président et chef de la direction, Chambre de commerce du Montréal métropolitain
- Alexandra Mathiolon, Directrice générale, SERFIM Groupe
- Élise Proulx, Cheffe Développement économique Québec, Ivanhoé Cambridge
- Tania Saba, Titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance, Professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal
- Frantz Saintellemy, Président et chef de l’exploitation, LeddarTech et Chancelier de l’Université de Montréal
- Philippe Valentin, Président, Chambre de commerce et d’industrie de Lyon Métropole, Saint-Etienne, Roanne
Savez-vous que…
- 250 000 postes sont vacants au Québec;
- Plus de 370 000 le sont en France,
- et; 89 millions d’emplois seront à pourvoir dans le monde d’ici 2030.
La tendance actuelle de la pénurie de main-d’œuvre s’inscrit donc dans la durée.
Période exceptionnelle… et compliquée
Si les intervenants s’entendent bien sur une chose, c’est que la situation actuelle dans les deux territoires est une période à la fois exceptionnelle et d’une complexité rare, tant les dirigeants d’entreprise font face à un cocktail d’enjeux; certains étant nouveaux, d’autres déjà présents et exacerbés depuis la crise sanitaire mondiale. Pensons notamment aux nouvelles technologies, dont l’utilisation s’accélère toujours plus et qui reste un enjeu crucial pour un grand nombre d’entreprises dont le design de l’organisation du travail n’évolue pas toujours aussi rapidement. « L’apport des nouvelles technologies existe depuis 10 à 15 ans. Aujourd’hui, il faut savoir s’adapter beaucoup plus rapidement et être plus à l’aise à être mal à l’aise, résume Frantz Saintellemy. C’est aussi le moment de redéfinir les rôles et la définition du mot « leader » pour laisser plus de place à l’action individuelle et à l’innovation collective dans une structure de travail hybride. » C’est aussi la première fois que cinq générations de travailleurs cohabitent et vivent leur emploi avec des perspectives différentes quant à la place du travail dans la vie et aux valeurs de l’entreprise. « Si la révolution 4.0 est un enjeu pour les entreprises, elles doivent aussi composer avec les attentes des travailleurs – notamment les plus jeunes – quant aux valeurs qu’elles affichent et appliquent dans leurs stratégies d’affaires, souligne Tania Saba. Aujourd’hui, on constate une évolution des propres valeurs des candidats vers la notion d’hédonisme, une volonté de bousculer l’ordre établi et un certain universalisme qui appelle de plus en plus à l’application par les entreprises des principes d’une économie circulaire et régénératrice. »
Le champ des possibles
Lui-même dirigeant d’une entreprise familiale, Philippe Valentin reconnait que tout s’entrecroise dans le contexte actuel, à un moment où les entreprises auraient plutôt besoin de stabilité pour rebattre les cartes. Difficile en effet de prendre du recul pour mener une réflexion stratégique quand on a la tête dans le guidon… « En France, une sorte de fatalisme existe dans le monde des affaires, conjugué au phénomène de démission silencieuse alors qu’un Français sur trois est moins motivé à retourner au travail. Il ne faudrait pas que la situation perdure car le bon moral des troupes est un facteur clé pour traverser les crises et encourager la collaboration pour
développer des solutions en-dehors du cadre. Aussi, il ne faut surtout pas négliger l’éducation et le développement de formations en adéquation avec les nouveaux paradigmes des métiers, notamment technologiques, et les besoins en mutation des entreprises », précise-t-il. Ce n’est pas Alexandra Mathiolon qui le contredira, alors que les formations aux métiers des travaux publics et de l’environnement tardent à s’adapter. « La pénurie de main-d’œuvre est un enjeu auquel on fait face au quotidien. Il faut par conséquent diversifier les solutions en allant par exemple directement à la source que sont les écoles, ou parfois même en les créant pour, d’une part faire connaître nos métiers aux plus jeunes, notamment auprès des jeunes filles, et d’autre part contribuer à l’élaboration de formations adaptées à l’ère du temps. Aussi, je suis convaincue que la notion d’apprentissage est incontournable – notre entreprise compte 6 % d’alternants travail-études – tout comme la valorisation des parcours qui participe à la reconnaissance du travail accompli et à la rétention des talents. Enfin, j’ajouterais que, face aux attentes grandissantes des candidats quant à nos valeurs d’entreprise et à l’utilité de nos différents corps de métier pour le bien commun, nous devons être prêts à adapter nos stratégies d’affaires, en y incluant une recherche permanente d’innovations ainsi qu’une forte démarche RSE. »
Le nouveau rôle du bureau
De part et d’autre de l’Atlantique, on s’accorde sur une autre chose : nous avons vécu une révolution et une évidence s’impose : dans un monde mobile et hyper connecté, l’organisation du travail pré-Covid 19 n’existe plus, et le bureau, en tant que cellule individuelle, fait partie de l’histoire ancienne. Alors, comment procéder pour réinventer ces espaces et donner envie aux travailleurs de revenir au bureau ? « Force est de constater une différence entre le Québec et la France alors que le retour des travailleurs au bureau est plus lent en Amérique du Nord qu’en Europe. Cela a un impact véritable sur la dynamique de nos centres-villes, comme on peut le constater à Montréal, remarque Michel Leblanc. C’est un milieu de vie en grande transformation. Auparavant fréquenté majoritairement par les travailleurs de grandes entreprises de services financiers, bancaires ou d’assurance, notre centre-ville devient moins cravates et plus baskets. » Désormais, cet écosystème devra donc être davantage pluriel et faire cohabiter des grandes et plus petites entreprises de différents secteurs d’activité, mais aussi de jeunes pousses de l’innovation. « Autant à titre d’employeur que de partenaire immobilier dans le secteur des bureaux, nous devons être en mesure de proposer des espaces de travail non plus limités à la représentation physique passée, mais suffisamment flexibles et inspirants pour être des espaces de vie complémentaires à celui de la maison, ajoute Élyse Proulx. Au-delà d’un agencement physique de qualité, le futur des bureaux réside aussi dans des pôles de services diversifiés pour faciliter la vie des usagers et assurer leur mieux-être sur leur lieu de travail – on parle ici de l’hôtellisation des espaces. Ce sera un véritable atout pour se démarquer comme un employeur de choix pour attirer et retenir les meilleurs talents. »
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